Sarajevo Urbs Aeterna

Sarajevo porte en son sein les traces culturelles témoignant d’une Histoire riche et d’un passé multiple. Ville aux origines contestées, elle se situe sur un territoire habité dès le Néolithique puis traversé, entre autres, par les Illyriens, les Romains et les Slaves, avant d’être véritablement fondée au milieu du 15eme siècle par les Ottomans. Elle est annexée par la suite à l’Empire austro-hongrois, plus tard intégrée au royaume des Serbes, Croates et Slovènes puis à la Yougoslavie communiste, avant que la Bosnie-Herzégovine ne déclare son indépendance au début des années 90 puis se déchire violemment suite à l'éclatement de la fédération yougoslave.

Depuis sa fondation, à l’instar de strates archéologiques s’accumulant les unes au-dessus des autres, ces époques au cours desquelles Sarajevo s’est formé semblent s’être juxtaposées horizontalement les unes à la suite des autres. La ville s’est en effet développée le long de la rivière dans une succession de quartiers hétéroclites exhibant les empreintes culturelles de ce riche passé. La survivance de ces traces de l’Histoire est d’autant plus remarquable que Sarajevo a été durement touché par le siège de 1992-95, depuis lequel la ville est restée associée à la notion d’urbicide, néologisme utilisé pour désigner, entre autres, la destruction programmée et méthodique de son patrimoine historique, culturel et religieux, avec pour objectif, de la part de l’agresseur national-serbe d’alors, de faire table rase du passé pour mieux y revendiquer sa légitimité exclusive. Depuis, l’Histoire suit son cours et Sarajevo ne cesse de se (re)construire, oscillant entre la communauté européenne et celle, culturelle et religieuse, de l’Orient.
C'est précisément ces caractéristiques singulières - un passé violemment hétéroclite arboré jusque dans son plan urbanistique – qui font que Sarajevo m’apparait comme l’illustration parfaite de ce qu’est tout territoire: un espace fixe mais en perpétuelle évolution, aux frontières abstraites, occupé ou partagé pour un laps de temps éphémère par des individus et des civilisations variées puis légué, parfois cédé par la force, à d’autres individus et à leurs communautés culturelles. Ce faisant, tout en cherchant à saisir ce passage naturel du temps, je dresse le portrait d'une ville unique, qui semble appartenir à tous les peuples qui la traversent mais à nul d'entre eux, à toutes les époques qui l'a façonnent et cependant à aucune. Une urbs aeterna.